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Pauline Gagnon: la passion coûte que coûte

2 février 2018 | Marion Spee

Dans le cadre de l'événement Science au féminin qui se déroulera le dimanche 11 février, le Centre des sciences publie des portraits de femmes inspirantes en science et technologie.

« En tant que fille, je n’étais clairement pas encouragée à poursuivre des études en science », avoue la physicienne Pauline Gagnon. Ça ne l’a pas empêché de participer à l’une des plus importantes découvertes des 50 dernières années : celle du boson de Higgs ! Retour sur un parcours qui, malgré les embûches, l’a menée au cœur de la « Big science » internationale.

« Quand j’avais à peu près 8 ans, je voulais savoir de quoi la matière était faite, sans forcément comprendre de quoi il s’agissait, explique la scientifique. Et je me disais que la chimie –  avec l’exemple de Marie Curie –  pouvait m’y aider », avant de comprendre qu’elle voulait sonder la matière encore plus profondément grâce à la physique des particules.

Premier obstacle : sa mère a tout fait pour la dissuader d’étudier les sciences, prétextant par exemple que son eczéma était incompatible avec les produits chimiques qu’elle aurait à manipuler. Mais Pauline Gagnon, déterminée, avait toujours une réponse à donner : elle porterait des gants ou ferait faire les manipulations par un(e) assistant(e), peu importe ! La jeune femme a donc fait son baccalauréat en physique à l’Université du Québec à Montréal. Là non plus, même dans un milieu plus ouvert en principe, personne ne lui a suggéré d’aller plus loin, malgré son potentiel et sa passion. Elle est donc devenue professeure au cégep. Jusqu’au jour où…

« Je tombée en amour avec une californienne… et je l’ai suivi là-bas, se remémore-t-elle. Ça a sans doute été ma chance ». Pour gagner de l’argent, elle écrivait des articles de vulgarisation à la pige. Pour le magazine Québec Science, elle a dû aller visiter un laboratoire où les chercheurs travaillaient sur la physique des particules.

Deuxième coup de foudre : tout simplement emballée, elle a décidé de retourner aux études avec, cette fois – enfin ! –, le soutien de son entourage. « La Californie a ça de particulier, c’est un état progressiste, il n’était pas rare que des gens reprennent des études pour changer de carrière », raconte Pauline Gagnon.

Avec une maîtrise de l’Université d’Etat de San Francisco, puis un doctorat en physique des particules de l’Université de Californie à Santa Cruz, elle a pu se concentrer sur l’étude des particules élémentaires, ces grains de matière encore plus petits que les atomes et qui se font et se défont comme des blocs lego. Elle aboutit au CERN, le fameux laboratoire international qui a créé le grand collisionneur de hadrons (« LHC »), le plus grand outil scientifique de tous les temps. De la recherche fondamentale dans toute sa splendeur.

CERNCrédit: CERN via Wikicommons

En 2012, c’est l’apothéose de sa carrière : le laboratoire dans lequel elle travaille détecte le fameux boson de Higgs, pièce manquante du grand puzzle des particules élémentaires. Les chercheurs ont fait d’immenses efforts pour être capables de le détecter, car sans le boson de Higgs, les autres particules n’auraient pas de masse ! (Ou, pour être plus juste, il aurait fallu revoir tous nos modèles !)  « Il est si éphémère qu’il ne servira sans doute jamais à rien, confesse la physicienne. Mais il a permis de faire un grand pas dans la connaissance –  mieux comprendre le monde dans lequel on vit, c’est le but de la recherche fondamentale – et puis les technologies mises au point pour le repérer auront des applications, elles ».

Selon Pauline Gagnon, elle est cruciale cette recherche fondamentale, il faut la choyer au maximum. Par exemple, celle faite au CERN a permis de mettre au point le World Wide Web. Oui, oui, le web, rien que ça! À l’origine, le projet avait été conçu pour que les quelques 12 000 scientifiques que compte le laboratoire venant d’environ 70 pays puissent s’échanger des documents sans avoir à transporter des valises. Autre exemple : les techniques d’imagerie médicale découlent des méthodes utilisées pour détecter les particules élémentaires.

Depuis quelques années, Pauline Gagnon s’offre une « retraite »… productive !  Elle a d’abord écrit le livre de vulgarisation  Qu’est-ce que le boson de Higgs mange en hiver, publié aux Éditions MultiMondes. Elle écrit des billets de blogue en plus de sillonner le monde pour faire des conférences grand public afin de rendre le monde de la physique des particules plus attrayant.Et le rendre accessible aussi aux femmes : elles sont moins de 20% à travailler dans ce domaine, et ce chiffre stagne depuis quelques années. Selon la scientifique, l’une des meilleures recettes pour attirer les filles en science, c’est d’avoir des discussions en classe, parler des raisons pour lesquelles il y a moins de femmes en science, faire tomber les stéréotypes. Parler du fait que ce n’est pas parce que les femmes ne sont pas capables, ce n’est pas une question de nature… mais juste parce que la société dans laquelle on vit est sexiste. « En 25 ans de carrière, je n’ai jamais vu un collègue solutionner un problème avec son pénis », ironise Pauline Gagnon. C’est pourtant pas plus compliqué que ça…

« Lors de la dernière conférence que j’ai faite à Montréal, une femme de 48 ans est venue me voir à la fin et m’a confié qu’elle avait repris les études après avoir lu mon livre », raconte-elle. Un beau cadeau.

Science au féminin, l'événement qui vise à inspirer et promouvoir la participation des femmes et des filles à la science, se déroulera le dimanche 11 février au Centre des sciences de Montréal. Cliquez-ici pour connaitre les détails. 

Marion Spee
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Spécialiste des manchots dans une autre vie, Marion est aujourd'hui journaliste scientifique. Elle travaille notamment avec Curium, Science & vie, Québec Science, Le Monde. Recherchiste pour des émissions de télévisions (Electrons Libres), elle tient aussi une chronique d'actualité des sciences dans l'émission l'oeuf ou la poule, sur choq.ca (la radio web de l'UQAM).