Cacas arctiques : les trésors des scientifiques du Grand Nord?
7 mai 2025
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Aline Zimmerma…
Pourquoi des scientifiques s’intéressent-ils autant aux… crottes? Oui, on parle bien de caca! Nous avons discuté avec Émilie Desjardins, étudiante au doctorat en biologie à l’Université du Québec à Rimouski et membre du Centre d’études nordiques. Émilie est une chercheuse passionnée qui passe une partie de son temps à pister ces petits «trésors» laissés par les animaux arctiques. Ce sont de vraies mines d’informations! Les excréments permettent aux scientifiques d’apprendre un tas de choses sur les animaux sans les déranger pour autant.
La carte d’identité secrète des animaux
Comment savoir qui est passé par là, ce qu’il a mangé, ou même s’il est en bonne santé, sans jamais le voir? La réponse est souvent… au sol! Pour les scientifiques, les crottes sont comme des messages codés laissés par la faune.
Émilie nous explique ce que ces petits cadeaux peuvent révéler :
Le menu du jour : en analysant les déjections, on trouve des restes de plantes, des poils, parfois même de petits os. On découvre ce que l’animal a grignoté! C’est très utile pour comprendre qui mange quoi dans un écosystème.
Le bulletin de santé : des parasites? Des virus? Les crottes peuvent nous alerter sur l’état de santé des animaux, ce qui est essentiel pour surveiller les populations.
Comportement : une abondance d’excréments peut indiquer un lieu important, comme un site de reproduction, une « frontière » de territoire, ou même l’endroit où un prédateur a dégusté son repas.
Habitat et population : trouver des cacas ici et là aide les scientifiques à estimer combien d’animaux vivent dans une zone et où ils préfèrent se promener. C’est crucial pour concevoir des stratégies de protection adaptées.
Suivi des espèces menacées : les crottes sont particulièrement utiles pour suivre les espèces rares ou menacées, surtout celles qui sont très difficiles à observer directement.
Identification d’individus : incroyable, mais vrai, l’ADN contenu dans un excrément permet de découvrir l’espèce exacte, le sexe, et même parfois… l’individu précis. C’est comme une carte d’identité génétique.
Mission récolte dans le Grand Nord
Crottes de caribou de Peary. Crédit photo : Émilie Desjardins
Mais comment Émilie parvient-elle à trouver ces précieux indices? Son travail consiste principalement à étudier les habitats des caribous de Peary et des bœufs musqués à Alert, le lieu habité le plus au nord de la planète! Elle veut comprendre quels milieux ces animaux préfèrent pour mieux les protéger.
Comme ces animaux sont rares et craintifs, il faut être rusé! Émilie a recours à des caméras automatiques, elle fait des observations directes quand c’est possible, et bien sûr… elle cherche des crottes. «Je parcours des parcelles choisies au hasard dans différents types de milieux, en gardant un œil attentif au sol», dit-elle. Quand elle en trouve, hop : gants, petit sac en papier, et l’on note la date, le lieu exact (avec un GPS) et l’espèce.
Et la question que tout le monde se pose : est-ce que ça sent mauvais?!
Renard arctique avec fourrure d'été. Crédit photo : Émilie Desjardins
«Ça dépend!» nous confie-t-elle en riant. «Celles des herbivores sont généralement inodores, tandis que celles des carnivores peuvent être assez… odorantes!Il m’est arrivé de tomber sur des crottes fraîches de loups arctiques et de renards arctiques, et là, l’odeur était vraiment forte, presque à en vomir!» mais elle ajoute : «ça fait partie du travail, on s’y habitue!»
Une collection unique... et une aventure inattendue
Émilie avec ses collègues Gabrielle Côté, étudiante à la maîtrise en biologie à l'UQAR et Ludovic Landry-Ducharme, étudiant au doctorat en biologie à l'UQAR.
Une fois récoltés, les excréments sont séchés, mesurés, photographiés, étiquetés et soigneusement rangés dans une armoire dédiée à son laboratoire à l’Université du Québec à Rimouski. Une vraie collection scientifique! Émilie rêve même de créer un jour un guide d’identification des crottes d’animaux arctiques, car ils varient beaucoup selon l’espèce, ce qu’elle mange, la saison, et même l’âge de l’animal.
Pour faire découvrir ces trésors aux visiteurs de l’exposition Nanualuk au Centre des sciences, Émilie avait préparé une sélection des plus beaux cacas de sa collection (renard, caribou, bœuf musqué). Mais lors d’une conférence à Ottawa, cacastrophe! Quelqu’un a volé la boîte laissée dans sa voiture. «Je n’ai pas pu m’empêcher de rire en imaginant la surprise du voleur lorsqu’il a ouvert la boîte et découvert, non pas un objet de valeur, mais… des crottes!» raconte-t-elle, amusée. Heureusement, elle a pu refaire une sélection et l’apporter elle-même au musée. Ouf!
Plus que des crottes : un laboratoire d’exploration arctique
Le chercheur Étienne Raby-Chassé prend une photo d'un renard arctique. Crédit photo : Audrey Le Pogam
Ce travail sur les crottes fait partie d’un ensemble de recherches importantes menées dans son laboratoire. D’autres scientifiques étudient les déplacements des lièvres et renards avec des colliers GPS, observent les ours polaires, analysent la diversité des plantes arctiques, et essaient même de modéliser tout le réseau alimentaire («qui mange qui») de l’Arctique. Tout cela pour mieux comprendre cet écosystème fragile et fascinant.
Curieux et curieuses des crottes et de l’Arctique? Visitez Nanualuk!
Pour en apprendre plus sur les cacas des animaux arctiques et bien plus encore sur le Grand Nord, venez explorer la toute nouvelle exposition-jeu Nanualuk - Expédition Nordique!
Lors de votre visite, une question vous brûlera peut-être les lèvres (ou le nez!) : les cacas d’animaux que l’on y voit sont-ils vrais?! Eh bien, respirez tranquilles : ce sont des moulages très réalistes, créés à partir des véritables spécimens récoltés par Émilie tout là-haut dans l’Arctique!
AlineZimmermann Maya Simoes
Aline est chargée à la recherche et vulgarisation au Centre des Sciences. Elle est passionnée par les sciences, les musées et les expériences interactives géniales (et aussi les chauves-souris et les araignées!).